L’enseignement initial du décodage
Enseigner la lecture au cycle 2 signifie couvrir l’ensemble de l’apprentissage, des débuts du décodage à la lecture-compréhension d’un texte long. Une approche intégrée permet de faire tout cela à partir du même texte de base, en adaptant le texte donné aux élèves au niveau qui les feront progresser, c’est-à-dire celui où ce qu’ils vont lire est juste un petit peu plus difficile que ce qu’ils savent déjà lire ou comprendre. Il est important de voir que si l’on simplifie un texte, ce n’est pas pour que chaque élève soit systématiquement en réussite : il doit y avoir un enjeu d’apprentissage, mais l’obstacle doit être surmontable. C’est ce que Vygotsky nomme la zone proximale de développement, bien connue des enseignants… mais difficile à mettre en œuvre. Concrètement, on va donc prévoir plusieurs niveaux de déchiffrage d’un même texte.
En ce qui concerne l’apprentissage initial de la lecture pour les élèves de CP, il est important que ces textes soient déchiffrables, en s’appuyant sur une programmation des correspondances graphophonétiques. Pour le début d’année, on peut également s’appuyer sur une liste de mots déchiffrables.
Décoder de manière automatique
Le cycle 2 est celui de l’apprentissage initiale de la lecture : il s’agit de faire comprendre le principe alphabétique, et de permettre aux élèves de l’entrainer suffisamment pour qu’il devienne automatique. Pour cela, l’approche intégrée associe l’apprentissage systématique des correspondances grapho phonétiques et leur entrainement, pour prendre appui sur des principes de base de l’enseignement de la lecture.
Adopter un rythme rapide d’introduction des sons
Le début d’année de CP est un moment particulier, où l’on travaille plus particulièrement et plus intensément sur le code, la phonologie, l’apprentissage des lettres, et du principe alphabétique. Il est important pour cela d’avoir prévu une progression précise sur le code et les stratégies de lecture, sans attendre de voir ce qui va venir.
Du côté de la théorie…
Pour cette progression, la recherche a montré récemment qu’il est important d’adopter un rythme assez rapide, afin que les élèves puissent rapidement déchiffrer des textes signifiants, et ne pas se méprendre sur l’objectif de la lecture, qui n’est pas produire des sons mais du sens. « Un tempo rapide s’avère bénéfique aux apprentissages des élèves en code et en écriture. En code, cette influence atteint son maximum pour un tempo de 14 ou de 15 CGP étudiées pendant les neuf premières semaines. Les élèves initialement faibles progressent davantage en code lorsque le tempo est compris entre 12 et 14. Les tempos les plus lents, inférieurs à 8, freinent les apprentissages des élèves, en code, bien sûr, mais aussi en écriture. » (Lire et écrire)
Des retours fréquents sur les CGP vues permettront d’ancrer les apprentissages, sans attendre que chaque son soit acquis séparément. De même, travailler en phonologie de manière précise et rigoureuse est indispensable, surtout en début d’année, mais il n’est pas nécessaire d’en faire un préalable au décodage. La conscience phonologique se construit en parallèle de l’apprentissage de la lecture.
Lors de ces moments d’enseignement systématique, il est possible d’associer des élèves plus avancés qui ont encore besoin de revoir les correspondances grapho phonétiques, en lien avec l’orthographe lexicale. Ils peuvent ainsi consolider leur connaissance des graphèmes, entrainer leur décodage ou leur fluence, et entrainer leur orthographe.
Mémoriser grâce à tous les sens
Certains élèves ont du mal à mémoriser le nom des lettres et les graphèmes. Leur permettre d’associer un geste peut les aider. Lors des entrainements autonomes, il est important d’aider les élèves dans cette mémorisation, en associant plusieurs sens et en permettant des rétroactions.
Du côté de la théorie…
Les lettres rugueuses ou en relief permettent aux élèves d’utiliser leur mémoire kinesthésique : les élèves suivent du doigt les lettres. Montessori l’avait pressenti il y a bien longtemps : « Quand on présente à l’enfant une lettre en émettant le son, il en fixe l’image avec son sens visuel et, en même temps, avec son sens tactilo–musculaire ; il associe le son aux signes relatifs, c’est à dire qu’il prend connaissance du langage graphique. Quand il voit et qu’il reconnaît, il lit ; et quand il touche, il écrit. » (Pédagogie scientifique). Des chercheurs récents comme Gentaz ont pu montrer l’importance de cet entrainement multisensoriel. Il conclue par exemple sa conférence au Collège de France par cette conclusion : « L’ajout de l’exploration haptique de lettres en relief dans un entraînement de préparation à la lecture améliore le niveau de décodage des enfants de manière plus importante qu’une exploration visuelle. (…) Ce type d’entraînement a également des effets bénéfiques chez les enfants susceptibles d’avoir des difficultés dans l’apprentissage de la lecture, mais les effets sur le décodage sont décalés dans le temps. » (https://www.college-de-france.fr/site/stanislas-dehaene/seminar-2010-01-12-10h30.htm)
La démarche proposée contient également des « mots-repères » permettant un soutien à la mémoire. Des affiches reprennent en effet la lettre et le mot repère, ce qui peut aider les enfants qui ne se rappellent plus comment encoder un son ou décoder un graphème. Pour que la mémoire puisse s’appuyer sur ces exemples, ils ont été choisis car ils contiennent toujours le graphème en position initiale. Sans cela, les élèves ne peuvent plus s’en servir pour soutenir leur mémoire défaillante. Seuls quelques graphèmes (comme le e de cerise) ne peuvent pas se trouver en première position, et dans ce cas c’est expliqué aux élèves.
Voici les affichages complets des mots-repères :
Automatiser le décodage
La découverte des différentes correspondances graphèmes-phonèmes ne suffit pas à acquérir une réelle compétence de lecteur. Il faut ensuite que les élèves automatisent le décodage, qu’ils reconnaissent les graphèmes et/ou les syllabes de plus en plus rapidement, et surtout de façon de moins en moins coûteuse cognitivement. Cet entrainement est parfois très long et décourageant pour certains élèves. Il est donc intéressant de varier les supports et les activités, tout en permettant aux élèves qui en ont besoin un temps conséquent d’entrainement. Pour les élèves les plus faibles, ce temps devra être souvent accompagné, pour qu’ils puissent avoir une rétroaction immédiate.
Les textes proposés peuvent facilement devenir des supports d’activités de fluence qui permettent aux élèves de s’entrainer à lire plusieurs fois le texte, de manière à automatiser la reconnaissance des mots et à augmenter leur vitesse de lecture. Lors de ces activités de lecture répétée, chaque déchiffrage correct du mot amène une meilleure mémorisation de ce mot, et chaque nouvelle rencontre avec ce mot un rappel en mémoire. Ces aller-retours sont un très bon moyen de fixer les mots en mémoire à long terme. Ils sont donc très importants, tout au long du cycle, et chaque lecture fera l’objet de lectures multiples par les élèves, de lectures silencieuses ou de lectures à voix haute.
Donner des supports déchiffrables
Comme nous l’avons déjà vu, il est important de s’appuyer sur des textes que les élèves peuvent déchiffrer en intégralité ou à 90 %, et pour lesquels ils peuvent se servir du sens pour inférer ce qui manque. Stanislas Dehaene nous rappelle qu’il est également important de ne pas donner trop de mots à reconnaître globalement en début d’année pour ne pas donner aux élèves une représentation fausse de la lecture. Il semble important aussi d’être attentif dans les autres matières (découverte du monde surtout) de ne pas donner aux élèves des mots à lire qui ne seraient pas adaptés à la progression en lecture.
Ainsi, chaque texte choisi fait l’objet d’une transformation si besoin pour que les élèves puissent les déchiffrer.
Etayer la lecture si besoin
Nous l’avons vu, il est important que les élèves puissent lire et relire textes et mots, pour que chaque déchiffrage réussi permette l’encodage en mémoire à long terme du mot déchiffré. Mais la condition indispensable à ce processus est le déchiffrage réussi. Pour certains élèves, ce déchiffrage est difficile en autonomie. Or, dans les classes hétérogènes, il est très important que même les élèves fragiles puissent s’entrainer de manière autonome. C’est pourquoi il peut être intéressant d’utiliser des étayages pour que les enfants puissent lire. Le premier est l’aide au découpage syllabique. Connu pour aider les élèves dyslexiques, ce découpage consiste à mettre en couleur chaque syllabe, et à griser les lettres muettes.
On peut également mettre en couleur les syllabes complexes. Ces étayages permettent à l’enfant de mémoriser, mais aussi d’entrainer l’empan visuel de la lecture, c’est-à-dire le nombre de lettres qui doivent être traitées ensemble. Ils permettent donc un travail autonome efficace, même si l’objectif à terme est de ne plus en avoir besoin.
Concrètement, comment faire ?
Pour travailler de manière intégrée entre différents niveaux de lecture, on commence par choisir un texte, pour son intérêt en compréhension ou pour son lien avec d’autres disciplines ou un projet de classe. On peut alors déterminer à quel niveau de lecture correspond ce texte. On peut également utiliser la platerforme Anagraph[1], qui mesure le degré de déchiffrabilité d’un texte en fonction des données que vous aurez renseignées sur votre progression grapho-phonologique.
On peut alors choisir un morceau qui sera facile à rendre déchiffrable pour les élèves de CP. On peut aussi réécrire quelques phrases qui parlent du contenu mais sans employer de correspondances grapho-phonologiques non étudiées. Pour cela, il est parfois nécessaire de changer le temps du récit (le présent est souvent plus simple à lire, tout comme le passé composé), et il est souvent indispensable de simplifier la structure des phrases. Lors de la lecture magistrale, les élèves bénéficieront du texte original, plus riche et plus signifiant, qui leur permettra un réel travail en compréhension. Mais le texte à lire et à relire pour automatiser le décodage est un texte adapté au niveau de lecture des élèves.
[1] http://anagraph.ens-lyon.fr/app.php
La lecture comporte également une autre dimension fondamentale : la compréhension, à retrouver sur cette page.
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